L’objectif n’est pas de changer de camp, mais de canon !
Tant attendu par les médias, le discours de clôture de l’Université de Rentrée prononcé par François Bayrou a encore une fois été déformé par la presse, à en juger pas les unes et les gros titres des uns et des autres. A croire que les journalistes n’y comprennent rien, mais sans doute est-ce plutôt par paresse qu’ils ne veulent pas se fatiguer à se creuser les méninges (n’oublions pas qu’ils ont inventé le verbe solutionner qui est un barbarisme plus aisément conjugable que le verbe résoudre du troisième groupe). Il est vrai que l’exercice nécessite beaucoup de réflexion, donc de travail et, ne suscite pas de grands scoops ou de gros titres aguicheurs ou scandaleux. Il ne portera pas non plus ses fruits à court terme, dommage pour ces amateurs de l’instantané.
Dans l’univers médiatique hormis le clivage bipolaire en deux hémisphères cérébraux, point de salut. Par conséquent, l’offre publique de dialogue à gauche, pourtant claire dans son énoncé pourvu que l’on parle normalement le français, traduit selon la presse un virage, un renoncement, un ralliement que sais-je encore, sans même examiner un tant soit peu le contenu. Les acteurs des médias n’ont même pas imaginé un instant que demain une démarche similaire pourrait intervenir à l’égard de la droite, dans l’esprit de l’ouverture prôné depuis la récente création du MoDem et, non pas soit dit au passage, le débauchage que l’on a pu constater ces derniers temps.
Point n’est question, d’un virage et a fortiori d’un ralliement à gauche. Pour les démocrates, il ne s’agit pas de cela, ils ne sont pas dans ce registre imposé depuis des décennies. Ils sont ailleurs, « en avant » a dit Jean-François Kahn. Bien sûr pour les tenants du conservatisme qui souhaitent que rien ne change, il en est des deux bords que cela arrange bien, il est bien difficile voire insoutenable de se projeter dans l’avenir, ne serait-ce que pour envisager des solutions nouvelles aux difficiles et nombreux problèmes qui se posent d’urgence à nos sociétés, celles de la France, de l’Europe et du Monde, en matière d’environnement en particulier, sujet à propos duquel François Bayrou a déclaré ne rien renier de la signature qu’il a donnée lorsque Nicolas Hulot a invité les candidats au moment de la campagne présidentielle. Sclérosés par quarante ans de bipartisme prédominant, ils n’en n’ont plus la capacité ou la volonté, c’est tellement plus difficile de penser autrement et d’être capable de l’expliquer.
Les propos de François Bayrou à La Grande-Motte lors de son discours de clôture de l’Université de Rentrée, la bien nommée en ce qui le concerne, sont pourtant explicites.
Jugez-en :
Une « offre publique de dialogue » a été lancée par François Bayrou à l’endroit du parti socialiste alors que la première secrétaire a eu l’audace de dire : « Veuillez bien, avant que je vous considère, faire la preuve que vous êtes à gauche ». Ce à quoi François Bayrou répond : « Madame Aubry, je n'ai aucune preuve à faire. Vous n'êtes pas chargée de contrôler les papiers. Vous n'êtes pas chargée de vouloir faire rentrer tout le monde dans le rang, dans le camp de l'alternance, si ce camp est de bonne foi il n'y a pas de surveillante générale, il n'y a pas de rang. Il y a une mission à remplir qui nous concerne tous : rendre la chance de l'alternance possible et crédible pour tous les Français, alors qu'en ce moment, ils n'y croient absolument plus. Pour cela, il y a une condition nécessaire sinon suffisante, c'est qu'il faut se respecter, aussi différents que nous soyons, et nous le sommes. Dans ce camp que je veux voir naître de l'alternance pour la France, nous sommes probablement moins différents qu'on ne le dit. Rassembler les forces pour que les Français désenchantés, parfois désespérés recommencent à espérer, alors je le dis, encore au nom du Mouvement Démocrate, pour ma part, je ne pose aucune condition à ce dialogue. Je ne fais aucune exclusive. Je n'ai pas besoin de contrôler les papiers pour confronter les idées avec des idées ».
Il a également précisé : « Je fais cette offre publique de dialogue. Ma conviction est qu'il faudrait que ce dialogue soit organisé, public, sans exclusive, pour que tous les Français puissent comprendre, au travers des échanges qui seront là mis en place, ce que pensent les familles politiques qui veulent une alternance, ce qu'elles pensent en commun où sont leurs différences.
L'idée qui me paraît très bonne, je l'avance, c'est que l'on réunisse en quelque sorte avec tous ceux qui en sont partie prenante et qui sont intéressés, un parlement de l'alternance. Que chacun vienne avec ses idées, sujet par sujet, qu'on les expose, qu'on les confronte, sereinement, d'accord, pas d'accord et, après tout, on a le droit de ne pas être d'accord. Selon moi, on a le droit d'être d'accord aussi et qu'on le fasse devant les Français, publiquement, dans des séances accessibles à tous les citoyens.
Après, lorsqu'on saura clairement où sont les convergences et les différences, où sont les divergences et même les divergences irréductibles, lorsqu'on saura où elles se situent, quand il y aura des divergences de cette sorte sur un grand sujet, qui tranchera ? C'est très simple, ce sont les Français qui trancheront et c'est à cela que sert le premier tour des élections et notamment le premier tour des plus grandes élections.
On dialogue, on confronte, on voit ce qui est d'accord et ce qui n'est pas d'accord, on expose ce qui n'est pas d'accord et ce sont les Français qui tranchent. C'est la démocratie que nous proposons de reconstruire et il apparaîtra naturellement que chacun a son identité, ses priorités, son histoire et son style. C'est le pluralisme, le pluralisme nécessaire. Chacun défend sa vision, son identité et son autonomie. Il n'y a pas de ralliement, il n'y a pas d'alignement. J'ai déjà dit en d'autres temps, ailleurs et à d'autres : si vous pensez tous la même chose, c'est que vous ne pensez plus rien.
Et, ceci, c'est une déclaration de guerre au sectarisme parce que je veux, ayant fait cette offre publique de dialogue, lancer en même temps un avertissement pratique : tous ceux qui prendront la responsabilité de dire : "Nous n'avons rien à voir avec vous", qui que soit le "nous" et qui que soit le "vous", tous les sectaires, tous ceux qui diront : "Je n'accepterai de parler avec vous que le jour où vous m'aurez rallié, c'est-à-dire le jour où vous vous serez renié", regardez les biens tous ceux-là, en fait, ils travaillent qu'ils le veuillent ou pas pour que le régime actuel dure 10 ans en France ».
Et d’ajouter par ailleurs : « Regardez ce qui se passe dans le monde. C'est bien souvent cette famille, dont nous sommes en France les représentants modestes, le centre progressiste, qui fait bouger le monde. Barak Obama n'est pas socialiste. Il est démocrate et il a entrepris quelque chose de grand, quelque chose d'immense pour faire bouger le monde.
Au Japon, cette semaine, le Parti démocrate du Japon vient de renverser 50 ans de domination conservatrice et, si vous lisez les dépêches qui annoncent cette victoire, vous lirez : "Parti démocrate du Japon, centre, c'est eux qui ont fait bouger les choses".
En Inde, le parti du Congrès, l'immense partie du Congrès dans la plus grande démocratie du monde, le parti du Congrès vient d'entrer comme observateur dans la toute jeune alliance mondiale des démocrates que nous avons fondée.
C'est le centre progressiste qui fait souvent avancer le monde et c'est pourquoi nous sommes fiers de cette famille politique, fière de cette identité de ceux qui ne considèrent pas l'autre comme un ennemi, même s'il n'a pas la même identité que vous. Au fond, il y a la une assez bonne définition de ce que nous qui l'avons choisi appelons centre ».
Seul parti en mouvement dans l’univers politique actuel totalement anesthésié, à travers ses élus que l’on souhaiterait plus nombreux, le MoDem est seul à bouger et à s’élever avec véhémence contre des mesures littéralement subversives, comme par exemple la suppression du juge d’instruction qui est une atteinte à l’un des piliers de la démocratie qu’est la séparation des pouvoirs. N’en a-t-il pas été de même avec la révision constitutionnelle qui permet au président de la république de venir s’exprimer devant le Congrès pour ne citer que ces deux exemples ? Vers quel régime conduisent ces nouvelles dispositions que l’on ose baptiser du nom de réforme ?
Il s’agit donc là, en vérité, davantage de changer de références, de règles, de méthodes, bref, les canons de la politique, plutôt que de se fondre dans l’un des deux hémisphères du moule que d’aucuns, et apparemment ils sont nombreux, voudraient rendre indélébile. Il faut impérativement sortir de ce manichéisme absurde et stérile, tout blanc ou tout noir, les couleurs étant bien évidemment interchangeables selon le camp auquel on appartient.
Comme en matière de canon d’artillerie, il faut viser juste et ne pas perdre de vue son objectif en toute indépendance quelles que soient les contingences. C’est en tout cas ce qu’a réaffirmé à l’unanimité et avec force, la Fédération des Ardennes réunie au lendemain de l’Université de Rentrée. Nul doute qu’elle n’aura pas grande difficulté à faire entendre sa voix au niveau des instances nationales du Mouvement Démocrate.
Michel TONON
MoDem Ardennes