Boris CYRULNIK

Publié le par modem08

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Les Ardennais ont la chance de pouvoir accueillir et écouter le neuropsychiatre Boris Cyrulnik le vendredi 5 avril à 20 heures au centre des congrès des Vieilles Forges. Il aura animé le même jour une formation pour les personnes travaillant dans le domaine de la santé. C’est le Rotary de Charleville qui est à l’origine de sa venue. Depuis quelques mois, tous les médias se sont fait largement l’écho de son dernier livre : « Sauve-toi, la vie t’appelle ». C’est le grand spécialiste de la résilience. Le magazine Panorama en donne la définition suivante : « La résilience, en psychologie, est cette capacité qu’ont les êtres humains meurtris par la vie, malmenés dans leur enfance, à réagir et à se construire malgré tout. Et, pour les enfants, à reprendre leur développement. Elle s’opère toujours grâce à des rencontres clé, des personnes qui jouent un rôle de tuteur constructif pour la vie de l’autre ».

Dans son dernier livre, Boris Cyrulnik se prend comme propre sujet d’étude. Il commence son livre ainsi : « Je suis né deux fois. Lors de ma première naissance, je n’étais pas là. Mon corps est venu au monde le 26 juillet 1937 à Bordeaux. On me l’a dit. Je suis bien obligé d’y croire puisque je n’en ai aucun souvenir. Ma seconde naissance, elle, est en pleine mémoire. Une nuit, j’ai été arrêté par des hommes armés qui entouraient mon lit. Ils venaient me chercher pour me mettre à mort. Mon histoire est née cette nuit là…Quand Mme Farges a dit : « Si vous le laissez vivre, on ne lui dira pas qu’il est juif », j’ai été très intéressé. Ces hommes voulaient donc que je ne vive pas… Je ne savais pas ce que c’était qu’être juif, mais je venais d’entendre qu’il suffisait de ne pas le dire pour être autorisé à vivre. Facile ! Un homme qui paraissait le chef a répondu : « Il faut faire disparaître ces enfants, sinon ils vont devenir des ennemis d’Hitler ». J’étais donc condamné à mort pour un crime que j’allais commettre…Vous n’allez pas me croire quand je vous dirai que j’ai mis longtemps à découvrir que, lors de cette nuit impensable, j’étais âgé de 6 ans et demi. J’ai eu besoin de repères sociaux pour apprendre que l’évènement avait eu lieu le 10 janvier 1944, date de la rafle des juifs bordelais. Pour cette seconde naissance, il a fallu qu’on me fournisse des jalons extérieurs à ma mémoire, afin de tenter de comprendre ce qui s’était passé ».

Aussi bien dans les interviews que dans ses nombreuses conférences disponibles sur internet, on ressent cette chaleur humaine faite de confiance, de sérénité et d’écoute de l’autre. « Je suis un chercheur d’humanité », aime-t-il à dire. Il se souvient que pendant ses études de médecine, dans les années 60, il a entendu un professeur dire : « Le traitement des enfants sans famille, c’est la chasse d’eau ! ». Cela a éveillé en lui un sentiment de révolte et c’est une des raisons pour lesquelles il a travaillé sur la notion de résilience. Il explique qu’il faut que le jeune traumatisé puisse parler. Il parle notamment d’un jeune dans le même cas que lui, qui a perdu toute sa famille à Auschwitz et qui a eu la chance d’être accueilli dans une famille américaine très généreuse (Henri Parens). « La différence par rapport à moi, c’est qu’arrivé aux Etats-Unis, il a eu un soutien, des tuteurs affectifs, d’où l’exemple de résilience. Moi, je n’ai pas eu ce soutien après la guerre. Lui a pu raconter, parler, redevenir normal rapidement. La culture américaine lui a redonné la parole et lui a permis de démarrer un processus de résilience. Moi, non. J’ai été obligé de me taire et j’ai eu des mécanismes de défense comme le déni ».

Alexandre Jollien est un écrivain philosophe suisse qui a une infirmité motrice cérébrale, suite à un étranglement par son cordon ombilical. De 3 à 20 ans, il a vécu dans une unité spécialisée. Il est maintenant marié et père de 3 enfants. Il parle avec Boris Cyrulnik pour ces jeunes de « mendiants d’affection » et dit que les personnes traumatisées par la vie peuvent être sujets à toute sorte de compromission pour avoir une sorte de reconnaissance.

Ayant la chance de connaître un jeune dont l’enfance a été faite de violences, de rejet familial, de familles d’accueil, de centres médico-psychologiques, je mesure l’espérance que représente la résilience pour ceux qui ont été en rupture d’affection et qui ont été privés de leur enfance et de leur jeunesse. Ce jeune de 19 ans ½ n’a droit à aucune aide financière et vit de foyer d’accueil d’urgence en errance dans la rue. Amené à voler pour avoir quelques euros pour vivre, il a été la victime désignée d’un personnage sordide qui l’a utilisé pour faire ses cambriolages et garder le butin pour lui, sans lui donner autre chose qu’un sandwich ou quelques euros. Bien souvent, la prostitution est le seul moyen d’avoir quelques euros devant soi. Il est en demande d’une reconnaissance affective et d’une certaine autonomie, qui commence par un petit logement, et si possible une formation. Le journal « Libération » parle avec enthousiasme du projet fou d’ « un chez soi d’abord » qui est une première étape pour soigner les SDF atteints de troubles psychiques et qui ont envie de se reconstruire. Dans le cas du jeune sans aucune ressource, la priorité est effectivement de parvenir à la résilience en surmontant son enfance brisée et en trouvant des personnes qui jouent le rôle de tuteurs constructifs. Les services sociaux (CCAS, 115, Mission locale…) font un travail très positif, mais ont du mal à jouer ce rôle de tuteur. Les psychiatres assurent un suivi médical mais ne soignent pas la carence affective. Il faudrait que tous acceptent de travailler conjointement avec des bénévoles qui peuvent apporter ce soutien affectif gratuit et non lié à des contraintes administratives. Comme le dit si justement Boris Cyrulnik : « Quand on rencontre l’autre, c’est une co-construction ». J’invite vivement tous les ardennais qui le peuvent à venir écouter Boris Cyrulnik et découvrir sa richesse humaine.

Jacques JEANTEUR

Publié dans Société

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