Congrès des Maires de France ! Décentralisation ou République féodale ?
Bien sûr, la réforme de la fiscalité directe locale est indispensable ! Bien sûr, la réforme des collectivités locales l’est tout autant ! Les deux sujets sont d’ailleurs intimement liés bien qu’ils aient été dissociés, à dessein peut-être.
Quoi qu’il en soit, la taxe professionnelle fait la Une. Elle n’est pourtant qu’un élément de la fiscalité locale ; la partie émergée de l’iceberg en quelque sorte. En effet, la réforme s’impose également pour la taxe d’habitation et les taxes foncières dont l’obsolescence n’a d’égal que l’anachronisme de la taxe professionnelle et, sur lesquelles vont néanmoins retomber toutes les pesanteurs financières. Chers contribuables préparez-vous dans les années qui viennent à ouvrir votre bourse. Comme toujours, vous allez porter le chapeau et payer la note.
Est-il logique de nos jours que vos bases d’imposition soient calculées sur une superficie fictive établie d’après la surface de votre habitation à laquelle sont ajoutés les éléments de confort transformés en mètres carrés (une baignoire vaut 4 ou 5 m² par exemple, le chauffage central X m² etc…) ? A cette superficie s’applique un prix du mètre carré fixé en 1970 et revalorisé forfaitairement chaque année depuis lors, encore heureux ; le tout selon une classification de l’immeuble en fonction de sa situation, de son état d’entretien, voire de sa simple apparence. Des comptes d’apothicaires qui aboutissent à des bases d’imposition – appelées valeurs locatives cadastrales - sans aucune équivalence économique actuelle, qu’il s’agisse de la valeur à neuf, de la valeur marchande, de la valeur vénale, de la valeur du loyer…
Les bases d’imposition ne correspondent effectivement à aucune valeur économique actuellement connue. De la pure fiction en somme – d’ailleurs après leur suppression en tant qu’impôts d’Etat en 1917 et jusqu’en 1970 elles étaient officiellement appelées les « principaux fictifs » -, peut-on alors parler de fiscalité moderne ? Et, ce n’est pas la revalorisation des bases prochainement programmée qui changera le système toujours fondé sur le principe des quatre vieilles instaurées par la Convention en 1790 (les deux contributions foncières l’une sur les propriétés bâties et l’autre sur le non-bâti, la contribution mobilière et la patente).
Quant au remplacement des conseillers régionaux et généraux par des conseillers territoriaux moins nombreux, il ne résout en rien les problèmes de compétences et de financements croisés découlant de la stratification de l’organisation institutionnelle de la France. Tout au plus, histoire de contenter le bon peuple, les dépenses publiques seront peut-être réduites de quelques indemnités de fonctions puisque la majorité des élus de base ne sont pas ou très peu rétribués. En réalité, une goutte d’eau dans la mer.
La seule question qui vaille est, dans l’ordre logique : qui fait quoi et avec quels moyens ?
Communes, Etablissements Publics de Coopération Intercommunale (EPCI : Communautés de Communes, d’Agglomérations, SIVOM : Syndicats intercommunaux à vocation multiple), Métropoles, Départements, Régions, quelles seront leurs compétences ? Rien n’est défini ! La logique n’exige-t-elle pas que l’on précise d’abord les compétences et ensuite les moyens ?
Néanmoins, on commence par la taxe professionnelle. Par quoi sera-t-elle remplacée ? Evasivement par une taxe complémentaire (CET : Cotisation Economique Territoriale dont le taux sera fixé par qui ? Devinez ? Par l'Etat bien sûr, alors que le taux de la taxe professionnelle est voté par les assemblées locales depuis 1981 !) sur la valeur ajoutée des entreprises et des commerces et, surtout, par une compensation de l’Etat, une de plus, dont, par expérience, les acteurs et les professionnels du milieu local savent ce que valent ces compensations, d’autant plus sûrement d’ailleurs que la situation des finances étatiques est aujourd’hui bien pire qu’hier.
Alors, tout se focalise sur la taxe professionnelle, le petit bout de la lorgnette et, un punching-ball, de choix ou de qualité à l’appréciation de chacun, vient au congrès des Maires de France afin d’offrir à nos édiles le loisir, voire le plaisir, de se défouler. Pauvre Premier Ministre que d’aucuns plaignent néanmoins, même un maire MoDem entendu aux actualités télévisées, alors que tout est orchestré puisque tout le monde savait d’avance que « the Prime Minister » allait se faire houspiller.
Après s’être bien soulagés sur le « lampiste », nos édiles fourbus sont invités à l’Elysée ; chaleureux accueil, discours lénifiant, gustations et libations à l’appui, roulez jeunesse, la pilule passera d’autant mieux. Tous n’iront pas à l’Elysée, il faudrait être sacrément naïf ou idolâtre, mais les féodaux parfois frondeurs, sont malgré tout acquis au système toutes tendances confondues.
Finalement, moins d’élus locaux donc, risque de contestation encore plus limité ; moins d’autonomie financière, donc emprise accrue sur les pouvoirs locaux. Décentralisation où es‑tu ? Pour parodier l’ami Coluche, j’ose écrire que, rien que le mot m’a toujours amusé.
En réalité, l’Etat central a historiquement manifesté une défiance certaine à l’égard de ses territoires. Après 1982, l’encre des premières lois de décentralisation était-elle à peine sèche que les tentatives de recentralisation fusaient de toute part, précisément dans les domaines fiscal et financier. Décidément, le jacobinisme à la peau dure et, malgré le suffrage universel, nous sommes toujours en féodalité tant juridiquement et financièrement que mentalement. Il est d’ailleurs comique, si tant est que le sujet s’y prête, de constater que les initiales R.F. inscrites au fronton de nos mairies puissent aussi se traduire par l’apparente antinomie de : « République Féodale ».
Michel TONON
MoDem Ardennes