Fraude fiscale - Suprématie des réseaux : dis-moi qui tu hantes, et je te dirai si...
Face au désastre politique, fiscal, institutionnel et surtout moral qui secoue la France depuis plus d’une semaine, quatre grandes dispositions ont été annoncées avant-hier par le Président de la République, à savoir :
§ Création d’une Haute autorité ;
§ Parlementaires : le cumul avec certaines activités professionnelles sera interdit ;
§ Délinquance financière : création d’un parquet spécialisé ;
§ Paradis fiscaux : appel à la transparence.
Sur le principe, chacune de ces dispositions ne peut que recevoir l’approbation générale et l’on ne peut que s’en réjouir mais probablement pas s’en satisfaire. En effet, sans aucune arrière pensée de procès d’intention, sur le fondement des principes juridiques et de la réalité des pratiques, il est néanmoins permis de se poser la question : qu’en sera-t-il de l’application et donc de l’efficacité de ces mesures ?
Voilà donc que l’on crée une Haute autorité de la transparence " totalement indépendante " (il eut été pour le moins scandaleux qu’elle ne le soit pas ; bref, il fallait quand même que cela fut dit), pour contrôler les déclarations de patrimoine et d'intérêt des membres du gouvernement, des parlementaires, des membres du Conseil constitutionnel, des hauts représentants de l'Etat, des principaux responsables des exécutifs locaux, des responsables des principales entreprises publiques et encore, des collaborateurs des cabinets ministériels ainsi que de la présidence de la République.
Pour effectuer ce contrôle, la Haute autorité " disposera des services fiscaux et, se verra attribuer un pouvoir d’injonction ". Elle " étudiera de façon approfondie la situation de chaque ministre avant et après sa nomination ", a précisé François Hollande. Elle sera présidée par une personnalité nommée en Conseil des Ministres après avis du Parlement et, sera composée de six membres issus du Conseil d’Etat, de la Cour de cassation et de la Cour des comptes.
Est-il réellement nécessaire de créer un comité Théodule de plus, n’y en a-t-il pas assez ? Les Services fiscaux existants ne sont-ils pas capables ou suffisamment indépendants ? Les réponses à ces questions sont évidentes. Il suffirait donc de donner aux instances et administrations existantes de véritables moyens de contrôle, d’investigation et de coercition alors que cette pseudo « Haute » autorité n’aura encore qu’un simple pouvoir d’injonction [1] ; la belle affaire, c’est se foutre des citoyens ! D’ailleurs, ces instances ont-elles même besoin dans l’arsenal juridique de moyens supplémentaires quand il suffirait de leur laisser toute latitude pour mettre en œuvre ceux dont ils disposent déjà ?
Quant à la création d’un parquet spécialisé, n’est-il pas plus simple de créer un service adéquat au sein des parquets existants, sans encore créer un organisme supplémentaire qui risque de compliquer encore le fonctionnement de nos institutions ?
En effet, comment vont pouvoir s’articuler les compétences et les pouvoirs entre la Haute autorité, les Services fiscaux, le parquet spécialisé et les autres parquets ? Comment seront définies et réparties les attributions de chacun sans instituer un méli-mélo juridico-juridictionnel, voire des redondances et des conflits de compétence. Bref, tout cela va aboutir à une usine à gaz de plus !
La construction institutionnelle que l’on peut imaginer est d’autant plus inquiétante qu’en matière de complexité juridique, la France est déjà particulièrement en pointe, on peut même dire sans exagérer qu’elle fait figure de championne dans sa catégorie ; les nombreux débats, colloques, forums et autres projets de loi, j’en passe et des pires, sur la simplification qui émaillent régulièrement l’actualité juridique en sont d’ailleurs une preuve incontestable, s’il en est besoin. Chacun sait donc par expérience que plus un système juridique est compliqué, plus il est aisé d’en utiliser les ficelles. Et c’est dans un tel contexte que l’on croit pouvoir lutter contre la fraude fiscale…
Ainsi va la vie, on croit probablement sincèrement, résoudre les problèmes en multipliant lois, règlements, nouvelles institutions et finalement aboutir à une contre-performance qui au final laissera au bon peuple le goût amer du leurre et donc le sentiment qu’on lui a fait prendre une fois de plus des vessies pour des lanternes.
Avec des moyens sûrs et sérieux ainsi que des pouvoirs adéquats à la disposition des services fiscaux existants, ce qui n’est pas compliqué à mettre en œuvre, en mettant véritablement un terme au cumul des mandats, et comme prévu de certaines fonctions, en agissant de manière volontariste au niveau européen pour lutter contre les paradis fiscaux, orientation qui semble s’esquisser entre l’Allemagne et la France qui ne peuvent d’ailleurs agir seules[2], ces trois dispositifs suffiraient à résoudre le problème, sinon à l’éliminer.
Hélas, les annonces à grand renfort de tambours et de trompettes sous l’urgentissime pression du scandale qui secoue notre République, ne semblent pas prendre ce chemin avec la création de ce nouvel organisme fort de son grand-guignolesque « pouvoir d’injonction ». A mes yeux, je le répète c’est un comité Théodule de plus. Espérons plutôt d’une réelle volonté Franco-Allemande, pour l’instant apparente, de lutter véritablement contre les paradis fiscaux qui demeurent la véritable réponse supérieurement efficace, pourvu qu’elle ne débouche pas elle aussi sur un autre organisme Euro-Théodule. Wait and see !
Alors que les banques suisses viennent de faire semblant de collaborer en laissant accroire à la levée de leur sacro-saint secret bancaire, dès lors que l’on sait, comme cela vient d’être communiqué avant-hier soir sur les ondes radios et télévisées, que désormais lesdites banques acceptent d’ouvrir un compte même sous le seuil de 1 million d’euros à la condition sine qua none de disposer d’un carnet d’adresses intéressant et fourni, autrement dit un réseau substantiel et prometteur. Après cette annonce dont il n’est nul besoin d’être grand clerc pour deviner à qui elle s’adresse, il apparaît légitime de douter de la bonne volonté des banques ; pire, cela peut être interprété comme de la provocation.
Faut-il que la transparence ou le déballage - c’est selon - le contrôle et la répression prennent en compte aussi ce critère ? D’ailleurs est-ce réalisable ?
Parodiant Don Quichotte de Cervantès : « Dis-moi qui tu hantes, et je te dirai qui tu es », désormais c’est : « Dis-moi qui tu fréquentes, et je te dirai si j’accepte ton pognon ».
Oh ! Je sens que je vais devenir vulgaire ! La colère étant mauvaise conseillère, allez, je m’arrête ; ce billet suffira à ma thérapie juridico fulminante.
Michel TONON
MoDem Ardennes
[1] Juridiquement, sans pouvoir de sanction, un pouvoir d’injonction ne peut que s’avérer inopérant. A titre de comparaison, l’inscription sur les listes électorales est obligatoire en vertu du code électoral ; or, aucune sanction n’est prévue par les textes pour non inscription. Résultat même s’il y en a moins que par le passé, il existe toujours de nombreux citoyens qui ne sont pas inscrits sur les listes électorales.
[2] Encore un exemple parmi tant d’autres qui montre l’impérative nécessité de continuer à travailler au renforcement de la construction européenne et non pas à son affaiblissement.