La fin du programme commun de la gauche
Lors de la présentation de ses vœux aux français et surtout lors de sa conférence de presse du 20 janvier, François Hollande a franchi un pas très important. Il a changé de cap. Cela signifie la fin du programme commun de la gauche qui avait été signé début 1972 entre le parti socialiste, le parti communiste et les radicaux de gauche. C’est ce programme, et les réformes qu’il prévoyait, qui ont permis l’élection de François Mitterrand en mai 1981. L’éditorial du « Monde » résume bien l’évènement qui s’est produit : « Après 18 mois de tâtonnements, qui peuvent aussi bien apparaître comme une période de pédagogie pour lui-même et sa majorité, François Hollande vient d’en tirer la leçon…Reconnaissant avoir sous-estimé la gravité de la crise, soulignant la nécessité d’adapter l’économie nationale aux mutations mondiales, martelant sans hésitation que « c’est l’offre qui fait la demande » et non l’inverse, le Président de la République a posé un diagnostic clair : « Le principal problème de la France c’est la production ». Il en a tiré la conclusion : les entreprises sont les premiers acteurs de la croissance, il faut leur donner tous les moyens de jouer plus activement leur rôle… L’objectif est donc clair et assumé. Tant mieux… Reste à passer à l’acte, et à répondre aux deux questions essentielles que soulèvent ces choix. D’une part, quelles contreparties, en termes d’emploi et de dialogue social, le patronat est-il prêt à consentir en échange ? Or, on sait bien que ce sont les commandes, et non pas les cadeaux, qui alimentent la production. D’autre part, comment financer, à la fois, ces nouveaux allègements de charges et la réduction, toujours impérative, des déficits publics ? En réformant les dépenses de l’Etat ? C’est une œuvre de longue haleine ? En invitant plus fermement les collectivités locales à la frugalité ? C’est amorcé. Plus sûrement, en réalité, en maîtrisant plus vigoureusement les dépenses sociales, par exemple le logement et le poids des retraites ». Pour François Ernenwein, dans « La Croix » il y a une « réorientation confirmée » : « A écouter l’impressionnant catalogue des mesures annoncées pour faciliter la tache des entrepreneurs (simplifications administratives et fiscales), on mesurait l’ampleur du changement de regard du pouvoir sur le fonctionnement de l’économie ».
L’UMP est divisée, avec d’un côté les incorruptibles opposants systématiques comme Jean-François Copé, de connivence avec Nicolas Sarkozy, et de l’autre côté les réalistes modérés et humanistes emmenés par François Fillon et Jean-Pierre Raffarin. Le centre, rassemblé dans « L’alternative », a réagi immédiatement et positivement. Lors du Congrès du Modem, auquel j’assistais, Jean-Louis Borloo a dit : « Nous ne sommes ni l’UMP ni le PS, nous avons nos propres valeurs et nous avons fait le choix de l’opposition constructive. Le Président Hollande vient de passer aux aveux. Il a changé de discours et nous ne pouvons que retenir la partie constructive. C’est une direction que nous soutenons…Nous sommes prêts à ce débat, surtout s’il est difficile. Nous devons être présents, quitte à dénoncer si c’est une mascarade. Nous serons les garants courageux de cette évolution. » François Bayrou a insisté sur l’urgence et a dit : « Ce qui a structuré la gauche, c’est une vision du monde que François Hollande a déclaré qu’elle n’était plus recevable et qu’il allait en changer. On voulait faire croire que la dépense publique, le blocage de toutes les organisations et des acquis était intangible. Il ne fallait pas les réformer mais les consacrer. » Il a rappelé que la constitution allemande a été mûrement réfléchie par les sociaux démocrates et les démocrates chrétiens pour empêcher un nouveau drame, comme l’arrivée démocratique au pouvoir d’un dictateur comme Hitler. Pour cela, les partis allemands ont veillé à ce qu’il y ait une juste répartition des sièges par de la proportionnelle et qu’une coalition soit toujours possible. Cela permet à la fois le jeu démocratique et l’efficacité.
Pour réussir ce tournant historique, la France a besoin d’une nouvelle organisation de sa représentation politique. Il faut que des rassemblements puissent s’opérer. Il faut que cesse cette guerre civile entre ultras de gauche et de droite. Dans le dernier sondage IFOP pour le JDD, 70 % des français pensent que la droite et la gauche n’ont plus aucun sens. En novembre, le sondage pour ce même journal disait que 74 % des français estimaient que l’UMP ferait moins bien ou ni mieux ni moins bien que le PS. Ce camp contre camp, cette bipolarisation obsessionnelle est un obstacle absolu à la réforme de notre pays. Il y a donc urgence à réformer notre loi électorale qui est la plus injuste et la plus antidémocratique de tous les pays européens. Seule une introduction de proportionnelle permettra aux 50 % de français qui ne sont pas représentés de faire leur entrée au parlement. C’est le 1er tour, et lui seul, qui donne la vraie photographie du paysage politique français.
Robert Rochefort ancien directeur du CREDOC, vice-président du Modem, ne comprend pas le pessimisme français. « Nous avons chez nous tout ce qui correspond à un potentiel prêt à redémarrer. Nous avons des moteurs puissants mais gelés. Ceux qui nous voient à l’autre bout du monde ont raison de parler de nos atouts. Mais, en 15 ans nous n’avons pas fait les réformes. Par un jeu de peur du changement, par corporatisme et par jeu politique bloqué ». Je salue donc avec beaucoup d’espoir ce changement historique de vocabulaire. C’est la première partie d’un long chemin. Il faut maintenant le traduire dans des actes concrets et il faut aussi mettre en place une totale réorganisation de la vie politique nationale et locale.
Jacques JEANTEUR