Monsieur le Président, au nom des pauvres, réagissez !
La situation de notre pays se dégrade de jour en jour, et il semble que vous n’en preniez pas la juste mesure. Comme des millions de français, j’ai pensé qu’avec une alternance la France pourrait enfin faire les réformes qui lui manquent tant. J’ai cru, sans doute naïvement, que vous auriez les capacités et la volonté d’être le Schröder français. Vous en aviez l’opportunité, mais vous ne l’avez pas saisie, car vous n’avez pas pris la mesure de l’urgence de la situation. Il ne s’agit plus de faire cohabiter les courants des gauches, mais bien de diriger la France et de veiller à ce que les plus pauvres ne soient pas encore plus pauvres. On avait senti que les pauvres n’intéressaient pas Nicolas Sarkozy et, même, il voulait faire passer le message que les chômeurs étaient des fainéants que l’on devait obliger à travailler. Il n’avait pas compris que la précarité est rarement choisie par ceux qui la vivent. Enfermé dans votre palais de l’Elysée, entouré d’une horde de collaborateurs énarques mais ignorants de la réalité quotidienne de ceux qui souffrent, à votre tour, vous êtes dramatiquement sourd aux cris qui montent de la France profonde.
Lisez le rapport annuel du Secours catholique, ou le journal « Feuille de route » du mouvement ATD Quart Monde. 5,74 millions de personnes sont inscrits à Pôle Emploi, DOM-TOM compris, et la moitié seulement perçoivent des allocations chômage. Entre mai 2012 et mai 2013, le nombre de demandeurs d’emploi depuis plus d’un an a augmenté de 15 % et même de 19 % pour les chômeurs depuis plus de 3 ans. En 2012, le secours Catholique a accueilli 1,431 millions de personnes, dont 672.000 enfants. Les familles monoparentales représentent 31 % des accueillis et les couples avec enfants 22,8 %. En 2012, le niveau de vie mensuel moyen des ménages accueillis était de 497 € , celui des jeunes de 18 à 25 ans de 364 € et celui des étrangers de 490 € pour ceux qui ont un statut et 290 € pour les autres. 17 % des accueillis étaient sans aucune ressource. Près d’un quart des personnes accueillies vit dans des logements précaires et le chômage atteint pour eux 67,9 % contre 10,2 % en moyenne nationale ! Comment ne pas désespérer ? Comment ne pas s’insurger quand on voit le nombre et le train de vie des parlementaires, ou les salaires des footballeurs ou des patrons du CAC 40 ? Comment ne pas se révolter quand on voit les nombreux postes de complaisance octroyés aux amis, et grassement rémunérés, comme cela se faisait d’ailleurs autant sous l’UMP. Dans son éditorial, François Soulage, Président du Secours Catholique écrit : « Le chômage tue la vie familiale et la vie personnelle. Il rompt les liens que l’on avait avec le reste de la société, en donnant le sentiment que soudain nous ne sommes plus capables de donner à la société ce qu’elle nous a apporté ».
Récemment, un ami psychiatre qui recevait un jeune de 20 ans, sans aucune ressource, que je connais bien, me disait : « C’est un travail à plein temps que d’être pauvre ». De son côté, Martin Hirsch vient d’écrire un livre intitulé : « Cela devient cher d’être pauvre ». Dans sa conclusion, il écrit : « C’est devenu cher d’être pauvre et cela coûte cher à la société de mal traiter la pauvreté. Ceux qui ont les ressources les plus faibles, malgré des aides qu’on leur reproche de toucher, supportent un coût de la vie plus élevé. ...Au-delà de la question morale que posent les conditions de vie des plus modestes, l’aggravation de la pauvreté est une menace pour la cohésion de la société tout entière et pour ses fondements démocratiques. Elle avive des tensions dans l’ensemble de l’espace social. Elle éloigne de la solidarité les plus fortunés, qui croient moins en l’efficacité des systèmes de protection dont ils sont en grande partie les financeurs. Elle cultive les plus vives aigreurs dans les classes moyennes, qui se sentent à la fois menacées, oubliées et pénalisées. Elle laisse une frange de la population à l’écart. Elle attise puissamment la tentation des extrêmes ». En taxant à tout va et sans aucune retenue, Monsieur le Président, vous augmentez le nombre de pauvres et vous précarisez davantage les plus pauvres. En n’engageant pas les réformes réclamées par tous les organismes nationaux, européens et mondiaux, vous empêchez la croissance de revenir. L’emploi ne pourra progresser que par une réduction des dépenses publiques de manière structurelle. Le laisser-aller de vos prédécesseurs et leur manque de courage pour réformer, ne doit en aucun cas être un alibi pour manquer, vous aussi, de courage. Perdre son emploi dans le contexte actuel, c’est risquer de sombrer dans la déprime et la pauvreté.
De grâce, monsieur le Président, vous qui n’avez jamais connu le monde de l’entreprise, tout comme la majeure partie de vos ministres et collaborateurs, daignez écouter ceux qui sont au contact quotidien avec les gens qui souffrent d’être exclus du marché du travail, et qui ont le sentiment de ne pas être respectés. Acceptez d’écouter la voix des plus pauvres et osez enfin engager les réformes qui permettront à la France de redémarrer et aux plus pauvres de reprendre espoir. Comprenez donc, monsieur le Président, que le vrai scandale, ce n’est pas qu’il y ait des riches, mais bien qu’il y ait autant de pauvres. Réveillez-vous, sortez de votre bunker élyséen, regardez la réalité en face. Les millions de pauvres ne descendront pas dans la rue pour manifester et bloquer le pays. Mais ils souffrent au-delà de ce que vous pouvez imaginer. Osez descendre vous même dans la rue pour les rencontrer et les écouter. Osez une politique courageuse de réduction des dépenses publiques inutiles pour pouvoir lancer la dynamique d’une vraie solidarité. C’est sans doute votre seul joker. Au nom des pauvres, jouez-le !
Jacques JEANTEUR