Ville de Charleville-Mézières - Une démocratie approximative
Sur une large demi-page de son édition du 27 mars 2010, par le truchement d'un jugement du Tribunal administratif de Châlons en Champagne, le quotidien L'Ardennais consacre un article aux modalités de détermination et d'attribution des primes versées aux agents municipaux de la Ville de Charleville-Mézières qui a été sanctionnée à ce sujet.
Avec photographies des protagonistes à l'appui, cet article présente en gros titre : « Le tribunal épingle la Ville ». En effet, trois arrêtés du maire des 30 juin, 7 et 17 décembre 2005 relatifs au régime indemnitaire – c'est ainsi que l'on désigne l'ensemble des règles applicables à ces primes - venaient d'être annulés par la juridiction administrative. A titre « anecdotique », on observera que le tribunal a également constaté que la Ville n'a pas justifié dans ses attendus que les arrêtés contestés avaient été publiés au recueil des actes administratifs de la Ville, l'ont-ils été réellement (l'histoire ne le dit pas) ? Ce recueil obligatoire dans les communes de plus de 3 500 habitants peut être consulté en mairie sur demande de chaque contribuable carolomacérien.
L'un des syndicats des personnels de la Ville avait saisi le tribunal au motif que « la masse financière globale des primes et les crédits correspondants à inscrire au budget devaient faire l'objet d'une délibération du conseil municipal » et non pas d'un arrêté du maire comme c'était le cas, ce qui est évidemment plus commode pour les traitements de faveur comme le sous-entend le syndicat en termes à peine voilés. En effet, cette disposition procède de principes fondamentaux du droit public applicables aux collectivités territoriales et repris dans le CGCT (Code général des Collectivités territoriales) et le statut de la Fonction publique territoriale.
En matière de régime indemnitaire des personnels communaux - comme ceux des régions et des départements d'ailleurs puisqu'ils ont le même statut - l'enveloppe financière globale et les conditions générales d'attribution (nature, critères, taux) des primes aux agents ressortissent à la compétence de l'assemblée délibérante, en l'occurrence du conseil municipal. Elles procèdent donc d'une délibération. Seule l'attribution individuelle à chaque agent relève des prérogatives du maire et donc d'un arrêté.
Si les subtilités juridiques de la gestion des personnels communaux peuvent échapper à certains agents et, a fortiori au commun des administrés, les règles élémentaires applicables ne pourraient et ne devraient être ignorées par quelque élu que ce soit disposant d'un minimum d'expérience et de surcroît en responsabilité. Pour être intellectuellement honnête, il convient de préciser que la remarque vaudrait également pour des fonctionnaires territoriaux de direction mais, il faut observer qu'à l'époque des arrêtés annulés, la Ville de Charleville-Mézières n'avait plus de directeur général, ni de directeurs généraux adjoints. En effet, ces cadres dirigeants avaient été virés lors de l'arrivée de l'équipe municipale actuellement en place, dans des conditions particulièrement critiquables portant atteinte à leur honneur et à leur dignité. Ces limogeages ont d'ailleurs à l'époque été également sanctionnés par le Tribunal administratif pour non respect de la loi et coûtent chers aux contribuables carolomacériens depuis de nombreuses années. Encore un autre sujet édifiant qu'il serait trop long de développer dans le cadre du présent article bien qu'il relève également de la politique de gestion des ressources humaines.
Bref, ce qui importe ici ce sont les dispositions législatives et réglementaires applicables en l'occurrence, qui sont considérées par l'adjointe en charge du personnel comme de simples formalités, sous-entendu, qu'il faut surtout minimiser pour tenter de masquer les impérities et, qu'il suffit de régulariser ; ce qui a d'ailleurs été indispensable puisque le jugement du tribunal administratif en a fait obligation dans un délai de deux mois, c'est-à-dire avant la mi-mai. Cependant, les questions se posent de savoir – mais en l'absence de nouveau recours contentieux, elles resteront pendantes -, quelles peuvent-être les valeurs juridique et démocratique de la délibération rectificative intervenue lors de la séance du Conseil municipal du 12 mai 2010 ? Lors de cette séance, sous contrainte juridictionnelle, le Conseil municipal a enfin été saisi de la question qui n'aurait jamais dû lui échapper et, il a finalement approuvé le régime indemnitaire par 32 voix et 10 abstentions... D'une part, cette délibération ne peut en principe avoir un effet rétroactif, comment alors justifier les primes versées aux agents depuis 2005 ? D'autre part, placé devant le fait accompli, le Conseil municipal n'a eu vraisemblablement d'autre choix que d'entériner les dispositions instaurées par les arrêtés du maire annulés, quelle valeur démocratique accorder alors à cette délibération ?
De surcroît, le mémoire en défense de la Ville devant le tribunal soutient en outre, que les arrêtés en cause étaient recevables car y est-il argué : un maire est également chef du personnel. Extraordinaire confusion des genres qui dénote une totale ignorance des attributions précises d'un maire et des limites aux pouvoirs qui s'y rattachent, quand bien même il est effectivement le chef du personnel. Voilà bien des interprétations regrettables qui ne distinguent pas les compétences du maire de celles du conseil municipal, assemblée démocratiquement élue qui donc représente le peuple carolomacérien. Les arguments développés devant la juridiction administrative relèvent du plus pur amateurisme et ne pouvaient donc être que balayés par les juges puisque ce sont des dénis de démocratie, par ignorance espérons-le et redoutons-le à la fois, sinon, ce serait véritablement très grave puisque de tels raisonnements relèveraient alors de conceptions pour le moins antidémocratiques.
Plus globalement, en confondant des principes fondamentaux du droit avec de simples formalités administratives que l'on oppose à la loi et au règlement c'est purement et simplement la démocratie qui est bafouée. On est donc loin de simples formalités. Si les dossiers de la Ville sont généralement traités de la sorte et, la Ville n'en est malheureusement plus à un jugement défavorable près, il est aisé de comprendre bien des péripéties dans la conduite des affaires communales ; le risque est grand de nourrir quelque inquiétude quant à la gouvernance de notre chef-lieu des Ardennes.
Quoi qu'il en soit, on est Démocrate ou on ne l'est pas ! Si l'on veut se prévaloir comme tel, il convient avant tout de savoir que la démocratie ne souffre pas d'approximation.
Michel TONON
MoDem Ardennes