Mouvement Démocrate - Conseil national du 14 mai

Publié le par modem08

FB-ur2010-240910Déclaration de François Bayrou, sur la situation politique et le Centre, prononcée samedi 14 mai en conclusion du Conseil national du Mouvement Démocrate.

 

Bernard Stasi nous a quittés, au terme d’une maladie longue et éprouvante. Nous étions nombreux mercredi autour de lui et de sa famille. Beaucoup d'entre vous se souviendront de sa dernière apparition publique, lorsqu’il a tenu à m’apporter son soutien et à témoigner de son engagement lors de la campagne présidentielle de 2007. Je voudrais vous dire aussi combien il a compté pour une certaine idée de la démocratie en France, apportant de l’ouverture d’ esprit à un moment où tout était fermeture, et un sens aigu de l’amitié et de la fidélité dans un monde où l’intérêt pèse lourd. Il était un homme debout, et qui allait jusqu’au bout. Je voudrais que nous respections à sa mémoire une minute de silence.

Mes chers amis,

Nous vivons en politique, et peut-être pas seulement en politique, un grand moment de confusion. La confusion est dangereuse. Face à cette confusion, une clarification s’impose.

Les citoyens ont besoin de repères pour pouvoir faire clairement leur choix, prendre leur décision, et obtenir par leur vote ce qu’ils attendent vraiment pour l’avenir de leur pays.

La « danse du centre »

La « danse du centre » à laquelle on assiste depuis quelques semaines aurait quelque chose d’assez drôle, si son but n’était pas d’égarer les électeurs pour les conduire précisément où ils ne veulent pas aller.

La question est bien celle du but de cette manœuvre : tout montre qu’ il s’agit de capter les voix d’électeurs insatisfaits de la manière dont la France est gouvernée depuis des années, d’électeurs qui veulent le changement, pour les ramener, au bout du compte, parmi les soutiens du pouvoir.

C’ est parce qu’il s’ agit de détourner et de dévoyer les électeurs du centre qu’il s’agit d’une manœuvre et pas d’une vérité. Il faut dissiper la confusion et clarifier les choses.

Une phrase révélatrice a été prononcée cette semaine par l’un des participants : « nous allons, a-t-il dit, construire la deuxième droite ».

Il convient de rappeler ceci : le centre, par définition, ce n’est pas une deuxième droite, pas plus que ce n’est une deuxième gauche.

Le centre, c’est précisément la volonté nécessaire et urgente de dépasser la droite et la gauche pour rassembler le pays autour d’un projet cohérent.

J’ai employé le mot cohérent. Il est très important. Ce qui frappe, quand on regarde l’état actuel de la droite et de la gauche, c’est l’extrême division qui règne en leur sein. Extrême division, et je crois, définitive division.

L’UMP est sous la pression de l’extrême droite. Chaque jour, sous cette pression, elle se divise un peu plus. Entre ceux qui considèrent que pour plaire à l’opinion et gagner son soutien, il faut utiliser les mêmes thèmes et les mêmes mots que le Front national, et qu’au fond ces thèmes et ces mots sont fondés, et ceux qui refusent cette stratégie de l’accommodement, la distance est de plus en plus grande. Sur la question de l’immigration, sur le RSA, l’affolement fait prononcer des discours et défendre des thèses qui empêchent la définition d’une politique cohérente. Il en va de même à gauche. Sur ce qui se passe et se prépare en Grèce, il y a une attaque contre Strauss-Kahn, violente, orchestrée au sein même de la gauche, et même du PS. Entre Mélenchon et Strauss-Kahn, il y a autant de fractures et d’affrontements irréductibles qu’entre ceux qui flirtent avec l’ extrême droite et par exemple Fillon.

Ce ne sont pas des camps solidaires, ce sont des champs de bataille.

Et la division de ces camps les rend incapables d’apporter une réponse courageuse et solide aux questions de l’heure.

Les vrais clivages

Or ce sont ces questions qui appellent de vraies réponses et constituent les vrais clivages. Il y a des responsables, dans chaque camp, qui considèrent que la question de la montagne de dettes et de déficits qui pèsent sur la France est une question urgente et qu’il convient de l’assumer. Et il y a, d’un côté comme de l’autre, des gens qui affirment au contraire que cela n’a que peu d’importance, que de toutes façons nous n’aurons pas à payer ces dettes, et qu’il convient donc de continuer à dépenser. Il y en a beaucoup à gauche, Emmanuelli, Mélenchon, Lionel Jospin récemment. Il y en a à droite, qui parlent moins fort, mais qui n’en pensent pas moins.

Il y a le parti de la dette et le parti de l’équilibre. Nous sommes du parti de l’équilibre.

Il y a des responsables, dans chaque camp, qui considèrent que la disparition d’un grand nombre d’activités de production de notre territoire national est une fatalité, que c’est comme ça, que c’est un mouvement de l’histoire, une sorte de division du travail entre les pays du monde. Et que jamais cela ne reviendra. Et il en est qui considèrent au contraire que le mouvement du progrès, c’est qu’un grand pays doit être un pays de production, et que le prix du travail n’est pas l’élément déterminant, un empêchement pour produire. Ceux-là pensent que l’automatisation d’un certain nombre de tâches, la proximité des marchés, la souplesse d’un appareil de production, doivent au contraire nous ouvrir à nouveau des productions et des emplois que nous imaginions perdus.

Il y a le parti de la fatalité, et il y a le parti de la volonté. Nous sommes du parti de la volonté.

Il y a des responsables dans chaque camp qui considèrent que la bataille de l’éducation est perdue, que c’est la faute des enseignants, de leurs vacances, de leur corporatisme. Et il en est d’autres, dans chaque camp, qui considèrent au contraire que c’est en appuyant, en soutenant les enseignants, en s’appuyant sur eux, en ayant avec l’Éducation nationale le dialogue exigeant et confiant qui convient que tout peut être reconstruit. Et que les résultats de l’école peuvent suivre.

Il y a le parti de la défiance à l’égard de l’école et il y a le parti de la confiance. Nous sommes du parti de la confiance.

Il y a des responsables dans chaque camp qui pensent l’Europe comme une charge, désormais superflue dont les nations vont peu à peu s’ éloigner, comme le Danemark vient de le faire pour Schengen, qui se sont résignés à voir l’Europe confuse, sans volonté, incapable de réaction, de volonté politique, où chacun tire la couverture à soi, chacun pour soi et Dieu pour tous. Et il y en a, nous en sommes, qui considèrent au contraire que l’Europe est vitale pour nous peuples et nations du continent, et qu’il conviendra d’en reprendre le projet. L’Europe ne méprise pas les nations, le creuset où se noue et se forge une histoire et une volonté, cette volonté qui doit s’exprimer ensuite dans notre maison européenne et dans le concert des nations.

Les convictions avant les étiquettes

S’affirmer au centre, c’est choisir de faire passer les convictions avant les étiquettes.

C’est pourquoi l’idéal de démocratie est inséparable de cet engagement. L’idée de vérité dans le débat public, la défiance à l’égard de toute communication artificielle, de toute mise en scène, la sobriété du gouvernement, tout cela est inséparable de notre engagement. Cette exigence n’est pas autre chose que l’effort pour porter à son plus haut la conscience et la responsabilité des citoyens que définissait Marc Sangnier. Et qui est la condition même du progrès moral d’une société.

Les convictions avant les étiquettes, c’est la condition même de toute politique de réforme.

Au cours de l’éloge funèbre de Bernard Stasi, je citais cette affirmation qu’il soutenait au début des années 70 : « il n’est pas de réforme importante qui soit possible dans un pays divisé en deux camps irréductibles ».

C’est pourquoi chaque fois qu’il a fallu reconstruire notre pays, physiquement ou moralement, il a fallu en appeler au dépassement des camps. Toute reconstruction n’est pas affaire partisane, mais affaire nationale.

Chaque fois dans notre histoire que l’essentiel a été en jeu, et il l’est aujourd’hui, ceux qui avaient la charge du sursaut ont demandé et réalisé ce dépassement des camps. Clemenceau, de Gaulle, Mendès.

Chaque fois que la France a été menacée de désintégration physique ou morale, et c’est le cas aujourd’hui, les hommes les plus responsables ont appelé au dépassement des temps anciens, des anciens camps, des anciennes divisions. Le centre, c’est ce dépassement.

Et il n’y a qu’un centre, c’est celui qui pense et prépare un tel dépassement.

Ce n’est pas seulement un mouvement de générosité, c’est un mouvement de responsabilité, de lucidité.

La position face à l’alternance

Pour compléter cette clarification, une question politique clé. Et cette question est la question de l’alternance.

Le choix de l’alternance et la nature même de cette alternance permettent de clarifier les choses et de voir où chacun se situe.

Il y a ceux, et nous en sommes, qui pensent que la France a besoin d’une alternance franche. Et il y a ceux qui se situent à l’intérieur de la majorité actuelle, roulent pour sa reconduction et appelleront à voter pour elle.

L’idée que la majorité actuelle reparte avec les mêmes, pour un tour, cinq nouvelles années, des millions de Français la rejettent et la rejetteront.

Nous sommes aux côtés des Français qui veulent un changement profond, pas la reconduction de la majorité actuelle. Nous sommes aux côtés des Français qui veulent voir affirmer d’autres valeurs et un autre type d’ exercice du pouvoir. Valeurs : le pays tout entier a besoin d’une autre éthique de la politique, du sens de la justice au sommet de l’État, de voir l’ exemple venir d’en haut. Exercice du pouvoir : le pays a besoin d’un État impartial, de pouvoirs respectés et contrôlés, du respect du pluralisme.

Les élections qui viennent doivent leur garantir que s’ouvre une page nouvelle, pas qu’on reprenne à l’identique la page précédente.

Et en même temps, nous sommes les porteurs d’une autre proposition d’alternance, démocrate et pas socialiste.

Pour nous, l’alternance traditionnelle, l’alternance classique droite/gauche, conduirait à d’inévitables déceptions, pareillement dangereuses.

Pour deux raisons principales : la première tient à l’exercice du pouvoir.

L’ élection du PS signifierait la concentration entre les mêmes mains, pour la première fois dans l’histoire de la République, de tous les pouvoirs locaux et de tous les pouvoirs nationaux. Deux tiers des grandes villes, la majorité des départements, la presque totalité des régions appartiennent déjà au PS.

Imaginons qu’on y ajoute le Sénat, l’Assemblée nationale, le gouvernement et la Présidence de la République. Où serait alors le pluralisme ? Où serait la transparence ? On donnerait tout le pouvoir à un appareil politique qui représente à peine vingt pour cent des Français…

Et la deuxième raison de notre volonté d’offrir un autre choix, c’est que sur le fond, la vision du PS, définie par la force de l’habitude et sous la pression de ses alliés de gauche, est une vision erronée. Pour nous, ils se trompent sur la société et ils se trompent sur le monde.

Ils se trompent sur la société parce que l’idée d’un État aux poches pleines qui va créer des centaines de milliers d’emplois sur fonds publics, pour les jeunes ou pour les plus âgés, qui va encadrer les loyers, qui va revaloriser les carrières, cette idée est séduisante peut-être pour certains, mais irréaliste donc mensongère. Et alors attention aux conséquences…

Nous avons une autre vision : c’est en nous-mêmes, dans la société française, que sont et que seront nos forces. Ce sont ces forces qui nous ouvriront l’avenir, et personne ne le fera à notre place, famille, école, entreprise, associations. Nous avons d’immenses réserves de créativité, d’invention : ce sont ces réserves qui créeront les produits et les emplois. C’est de là que viendront les ressources. Ces ressources permettront de rendre soutenable le modèle social et d’assurer le rayonnement moral du pays. Il n’est aucun défi technologique, industriel, agricole, culturel, éducatif que la France ne puisse relever et ne relève. Nous avons les compétences et les talents nécessaires, partout sur notre territoire. À condition que ces compétences et ces talents soient soutenus et pas bridés, empêchés, bloqués par un État tatillon et pesant.

Ce n’est pas en augmentant les charges sur notre production qu’on s’en sortira, au contraire, c’est en allégeant autant que possible et de manière équilibrée les charges et les contraintes de toute nature, particulièrement les charges et les contraintes qui pèsent sur la petite entreprise et sur l’entreprise moyenne. Les grandes entreprises, c’ est un déséquilibre de plus, sont dans bien des domaines avantagées par rapport aux petites. C’est anormal, et c’est un frein à la créativité et à l’emploi. Et cela devra être rééquilibré. L’État est là, doit être là pour aider, pour soutenir, pas pour charger et pour contraindre.

Nous en avons une illustration en ce moment avec l’intervention de l’État dans la question de la définition et du découpage des communautés de communes et d’agglomération. C’est des élus que devrait venir l’orientation et les décisions. Rien ne justifie que l’État se fasse le propagandiste et le principal soutien de l’idée américaine « big is beautiful ». On nous parle d’économies d’échelle : on aura le contraire, des appareils administratifs plus lourds, des dépenses supplémentaires qui seront décidées pour suppléer la disparition de la proximité. Les maires se voient dépouillés de leur légitimité. Tout cela va à l’encontre du principe de respect de la légitimité locale.

La France a tous les atouts pour réussir dans cet élan, dans cette vaste remobilisation des esprits et des énergies. Au travers du temps nous avons construit un pays équipé, équilibré, avec des transports parmi les meilleurs du monde. Nous avons les ingénieurs, les techniciens, pas assez, mais beaucoup. Nous avons les chercheurs. Nous avons les entrepreneurs, pas assez mais beaucoup. Nous avons la natalité d’un pays vivant, conséquence d’une politique familiale sérieuse qu’il ne faut pas abandonner.

Changer la vie publique. Il y a plusieurs conditions à cette libération et à cette reconstruction, et la première, c’est un changement immédiat et profond de notre vie publique et des règles qui la régissent. En particulier, il est inacceptable et honteux que le pluralisme n’ait pas droit de cité en France : les courants qui sont exclus de la représentation dans notre démocratie sont en réalité, si on les additionne, majoritaires. Nous défendons l’idée, l’exigence que chacun doit être représenté, à la mesure de son existence dans le pays. Une loi électorale juste, la séparation des pouvoirs, une conception exigeante et impartiale de la République en général et de la fonction présidentielle en particulier, tout cela ne coûte rien, arracherait notre vie publique à la langue de bois et au vote obligatoire, qui décrédibilisent toute parole publique. Et je préfère combattre les extrêmes à l’ Assemblée que de les voir progresser sournoisement, souterrainement dans le pays.

Ce projet est fédérateur. Ce projet ne ruse pas. Il ne joue pas double jeu. Il rejette la duplicité et les manœuvres. C’est pourquoi nous ne participerons pas à tous les micmacs, à la confusion dans laquelle plus personne ne reconnaît ses valeurs et ses convictions.

Le rassemblement

Je veux finir cette clarification sur l’idée de rassemblement. Nous savons bien, je le redis aujourd’hui après l’avoir sans cesse défendu depuis des années que le rassemblement est une exigence d’avenir. Oui, bien sûr, sont nombreuses, dans la majorité comme dans l’opposition, les personnalités avec qui nous nous sentons en phase, malgré les aléas de la vie politique. Beaucoup de ceux-là partagent nos valeurs et l’essentiel de nos convictions. Nous avons beaucoup en partage : un socle de valeurs, des amitiés, une histoire longue de décennies, et je le crois un avenir.

Nous avons le projet de construire une majorité nouvelle pour notre pays, et dans cette majorité, beaucoup d’entre eux auront leur place. Simplement, cela doit se faire et se fera dans la clarté. L’ambiguïté et le double jeu sont les ennemis du rassemblement. Nous les combattrons.

C’est une majorité de Français, je le mesure tous les jours, qui veulent tourner la page sur la période politique que nous venons de vivre. Nous partageons leur volonté de changement. En refusant le double jeu, nous leur apportons la garantie qu’aucune de leurs attentes ne sera détournée et dévoyée. Nous leur apportons une garantie essentielle : ce grand choix ne sera pas dénaturé et détourné, il n’ y aura ni ambiguïté ni double jeu. La loyauté et l’honnêteté des positions seront au rendez-vous.

C’est la condition pour rendre possible le renouveau du pays, et la naissance d’une majorité nouvelle pour soutenir ce projet.

Publié dans Politique générale

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