LE DOUTE
Nietzsche a dit : « Ce n’est pas le doute, c’est la certitude qui rend fou ». A voir les blocages de notre société, liés à des certitudes contraires, on ne peut que lui donner raison. Les rumeurs, réactions, contradictions et mouvements de masse sur le genre en sont la preuve. Tout d’abord, il faut préciser qu’il n’existe pas de théorie du genre, mais bien des études sur le genre (gender studies), venues des Etats-Unis dans les années 60-70. Il s’agit d’une discipline universitaire et non d’une idéologie ou d’une théorie politique. Philippe Euzen , journaliste au « Monde » explique ainsi le genre : « Le genre est utilisé par les chercheurs comme un outil permettant de penser le sexe biologique (homme ou femme) indépendamment de l’identité sexuelle (masculin ou féminin). Il ne s’agit donc pas de dire que l’homme et la femme sont identiques, mais d’interroger la manière dont chacun et chacune peut construire son identité sexuelle, aussi bien au travers de son éducation que son orientation sexuelle (hétérosexuelle, homosexuelle, etc…) ».
Dans environ 600 classes de maternelle au CM2 réparties dans 10 académies volontaires une expérimentation est en cours depuis septembre, intitulée « Les ABC de l’égalité ». Le but officiel est de lutter contre les stéréotypes filles-garçons, et notamment les comportements qui seraient pris dès le plus jeune âge et qui aboutiraient à la division traditionnelle des rôles au foyer, dans le sport ou dans la vie professionnelle. L’objectif officiel est de transmettre aux enfants « une culture de l’égalité entre les sexes…En reconnaissant la différence biologique, nous voulons tout de même qu’il y ait égalité entre les femmes et les hommes au sein de la société, en particulier dans le choix des métiers ».Certains ont fait courir la rumeur que cette démarche visait à casser le modèle hétérosexuel de la famille et qu’il s’agissait de perturber les enfants dès le plus jeune âge. Cela a amené au mouvement de retrait des écoles le 27 janvier. Ce mouvement a été soutenu par Farida Belghoul, ancienne figure de la lutte des « Beurs » dans les années 80 et passée à l’extrême droite, disciple d’Alain Soral, essayiste proche de Dieudonné.
C’est à ces craintes sur la théorie du genre et aux suites envisagées du mariage pour tous, à savoir le PMA et la GPA, que la nouvelle grande manifestation de dimanche dernier a eu lieu contre la « familiphobie ». On est face à une France divisée, pour ne pas dire éclatée.
François Ernenwein, dans « La Croix », rappelle le discours du candidat François Hollande le 1ermars 2012 à Lyon : « La France a été affaiblie parce qu’elle s’est divisée…Mon projet, c’est la France réconciliée, oui, réconciliée ». Loin d’avoir tenu sa promesse, il a, au contraire, divisé profondément les français sur ses textes de société. Le peu de valeurs morales qui alimentent sa vie privée peut faire craindre qu’il aille très loin dans la remise en cause des valeurs qui sont le fondement de notre société. Le journaliste poursuit ainsi : «En des temps de soupçons, tout devient indice… Dans un débat si mal engagé, la crainte l’a donc emporté dans une partie significative de l’opinion qui ne partage pas l’idée que le gouvernement se fait des réformes de société…Désormais, les cortèges ont installé un véritable rapport de force avec le gouvernement. Il devra en tenir compte. Mais les responsables de « La manif pour tous » auront, eux aussi, un effort à faire pour continuer à se distinguer des défilés extrémistes déployés une semaine plus tôt lors de la manifestation « Jour de colère » et éviter ainsi l’amplification des divisions en son sein ».
« Le Monde » a donné la parole à plusieurs personnes d’horizons divers sur « le malaise dans l’égalité des sexes ». Pour Jean-Marc Roirant, secrétaire général de la Ligue de l’enseignement, « L’objectif des ABCD de l’égalité est de permettre aux enfants de s’émanciper des rôles que la société a tendance à leur assigner par avance ».
Pour Hervé Mariton, député UMP de la Drôme, il faut préserver l’espace intime qu’est la famille. « L’autre asa liberté et le refus de l’idéologie du genre est d’abord le rejet d’une immixtion illégitime du politique ou de l’institution dans l’espace très intime de l’éducation des enfants. Les parents ont une responsabilité essentielle pour briser le plafond de verre qui limiterait la destinée d’une fille, mais ils ne le délégueront pas à ceux qui proposent de lire « Papa porte une robe » ou de regarder le film « Tomboy ». L’autre, c’est la différence. Ce n’est pas une discrimination anthropologique…. L’autre, c’est la complémentarité. L’homme et la femme sont complémentaires. Ils sont nécessaires pour faire un enfant… L’ambition militante ou personnelle de faire un bébé toute seule échappe à l’idée de complémentarité et sollicite le soutien de l’idéologie du genre ».
A l’inverse, pour Bernard Roman, député PS du Nord : « Les couples homosexuels qui désirent des enfants ont les mêmes motivations que les hétérosexuels. Ils souhaitent fonder une famille, ils veulent la construire sur l’amour et la responsabilité, ils désirent transmettre des valeurs ».Pour le philosophe Thibaud Collin : « Le clivage entre le gouvernement et ses opposants est donc finalement métaphysique puisqu’il engage deux conceptions irréductibles de l’être humain. Soit l’homme se reçoit comme un don auquel il a à répondre par la mise en œuvre d’une liberté orientée vers son vrai bien ; soit l’homme se définit lui-même et se construit à partir de matériaux sociaux et biologiques en se déterminant souverainement ».
Enfin, pour la philosophe, Chantal Delsol : « Comment se préserver de l’extrémisme que déploient des discours comme celui du « gender ? En prenant en compte, non seulement l’émancipation enviable, mais aussi l’enracinement nécessaire qui nous arrime à la condition humaine, à l’histoire, aux exigences naturelles élémentaires. Supprimer tout enracinement : c’est ce qu’avaient tenté les soviets ».
Le propos de Nietzsche a vraiment toute sa valeur sur ce débat sur la famille et les valeurs qui s’y rapportent : la certitude rend fou. S’il convient de ne pas rester sur des postions figées et accepter par exemple le mariage ou l’union civile pour les homosexuels, il n’est pas, pour moi, raisonnable de permettre la PMA et la GPA pour les homosexuels. On sait qu’une immense majorité est contre la GPA et que cela ne passera pas. Mais, pour la PMA pour les lesbiennes, le clivage est très fort. Le fait de considérer comme intangible qu’un enfant ne peut naître que d’un homme et d’une femme, n’est pas une certitude idéologique ou religieuse. C’est une loi fondamentale de la nature. Sur beaucoup d’autres sujets, je veux douter, car les certitudes héritées familialement ou socialement crispent et peuvent rendre fous ceux qui s’y accrochent sans accepter le débat. Je n’oublie pas que Christiane Taubira, tant décriée à droite, est celle qui a fait voter, à l’unanimité, en 2001, la loi : « La traite et l’esclavage, crimes contre l’humanité ». Le doute, comme la présomption d’innocence, doit donc nous guider, pour éviter la folie de nos certitudes.
Jacques JEANTEUR